C'est assez

LE BAR DES AFRANCESADOS : critique de Pierre Stolze parue dans la revue Galaxies n°56 

reproduite avec l’autorisation de l’auteur.

L’Union européenne a éclaté en une multitude de micros-états plus ou moins indépendants et plus ou moins phagocytés par des puissances étrangères. Ainsi à l’Ouest nous trouvons la Bretagne, l’Alsace (sans Mulhouse rattachée à la Suisse), l’Occitanie, la Corse, la France, réduite à la portion congrue, et le pays basque unifié a incorporé la Navarre. Le Royaume Uni a éclaté et l’Angleterre végète misérablement (vieux fantasme franchouillard ?) . Chaque pays a sa langue officielle (le basque, le breton avec toutes ses variantes locales, l’alsacien ...) et c’est un cauchemar pour les interprètes du Parlement européen.

Le roman va suivre, sur des décennies, les tribulations de Maïté, jeune fille basque née à Baïona (Bayonne). Dans cette cité, les concessions étrangères se mutiplient, chinoises ou qataries. Des Ecossais gardent la Citadelle, et les Anglais fournissent une main d’oeuvre bon marché. D’ailleurs, et de plus en plus, les travailleurs autochtones sont remplacés par des étrangers taillables et corvéables à merci. Tous les basques vivent dans le mythe et l’histoire truquée. Ainsi, Jean de la Fontaine , l’auteur de la fable Le Loup et le Chien, devient un basque, Johannes Iturri, auteur de « Otsoa eta Hora ». Ainsi encore le grand père terrible de Maïté réinvente son passé de malfrat en celui d’un héroïque indépendantiste ayant participé à la guerre de l’anchois contre les marins bretons. Le père de Maïté est simple employé au golf local, sa mère femme de ménage pour la famille du gouverneur de la concession chinoise. Au début du roman, la très jeune fille est engagée tous les mercredis pour apprendre le basque, pardon l’euskara, à la fille du gouverneur, la petite Mei. Qu’elle perdra vite de vue. Puis, après un projet de mariage qui tombe à l’eau (son fiancé, grièvement blessé par des indépendantistes de Navarre et ayant perdu l’usage de ses deux jambes, lui a redonné sa liberté), elle épouse un breton, Gaël Fromentin, frère d’une Nolwen qui fut la correspondante de Maïté à Naoned (Nantes) . Maïté va donc vivre un temps là-bas , donne naissance à un garçon, Yann, avant de suivre son mari à Strossburi (Strasbourg) où il vient d’obtenir une promotion. Car Gaël travaille pour une multinationale de la communication, la société Pear, dont le symbole est une poire entamée (et on aura reconnu le modèle , Apple). À Strossburi, Maïté, devenue assistante sociale, aide des Corses dans la misère (les nouveaux boat-people). Elle suit enfin son mari à Paris pour découvrir que la capitale de la France n’est absolument pas une ville ruinée où pullulent les loups, mais une cité riante et cosmopolite. Elle est engagée alors dans une maternité de mères porteuses galloises et fréquente le bar des « Afrancesados » (des « français » en espagnol) ...

Il y a une quantité d’autres personnages et d’événements dans ce roman qui file à toute allure sans laisser au lecteur le temps de souffler. Comment cela se termine, en tout cas pour le pays basque (après bien sûr que Maïté a résolu un tas de secrets d’une famille très compliquée) ? Suite à des émeutes et des massacres à Bayonne, un nouveau parti prend le pouvoir, le parti F.R.A.N.C.I.A. Bref, tout devrait un jour rentrer dans l’ordre dans cette Europe sur-découpée.

Une Europe réconciliée et conquérante ? Ça, c’est vraiment de l’utopie. Pour l’instant ...