LES GARDES RÊVES: critique de Pierre Stolze parue dans la revue
GALAXIES n°39 janvier 2016
reproduite avec l’autorisation de l’auteur.
Il s’agit d’un recueil de 32 nouvelles courant sur 240 pages. Excepté
la nouvelle-titre les Gardes Rêves, une suite de 10 courts chapitres
totalisant 25 pages, chaque texte n’excède pas en moyenne les 7 pages.
19 nouvelles sont inédites, 13 autres ont été publiées entre 1987 et 2001
dans des revues québécoises (Imagine ou Carfax), belges (Magie Rouge),
ou dans des anthologies (Territoires de l’Inquiétude, Territoires de l’Angoisse,
Nightmares ou Ténèbres). On ne trouvera là que des nouvelles fantastiques,
horrifiques ou surréalisantes. Aucune de science-fiction contrairement
au recueil précédent, La Bulle d’Eternité, publié également par Rivière
Blanche (2013).
Le thème principal de ce spicilège ? Le dédale, le labyrinthe, celui
des rêves, souvent cauchemardesques, et celui du temps. Le terme cauchemar
revient avec une belle régularité au fil des nouvelles. Certaines d’ailleurs
tournent au jeu de massacre (Quel beau dimanche ! ) Dans Désolation
il est question d’un « labyrinthe où l’on ne revient jamais sur ses pas. »
Dans Sortie Interdite, des créatures munies de couteaux hantent
le labyrinthe d’une cité administrative dans lequel il vaut mieux ne pas
s’égarer. La nouvelle titre Les Gardes –Rêves, est représentative
de l’ensemble du recueil : Louis va longtemps chercher sa femme Antoinette
dans le labyrinthe de ses rêves, qui est aussi un labyrinthe temporel
(un chapitre s’intitule justement « Le labyrinthe du temps ») Sans cesse
on change de lieu, et on rencontre le penseur de Rodin ou des personnages
tirés de L’Étoile Mystérieuse ou de L’Île Noire d’Hergé. Attention quand
les rêves s’imbriquent les uns dans les autres à la façon des matriochkas
(poupées russes), et surtout attention à ne pas tomber dans le rêve d’autrui,
d’une tierce personne qui n’existerait même pas ou serait personnage de
pure fiction. Les références culturelles (cinématographiques, historiques
ou autres) restent rares. Dans Baisers Volés (titre emprunté à
un film de Truffaut, lui-même emprunté à une chanson de Trenet), un homme
et une femme se cherchent dans les passages secrets d’une école et à travers
le temps. Et la femme est tour à tour lycéenne, puéricultrice, professeure
d’université ou danseuse masquée. Dans La Cicatrice, on croise
des fantômes de révolutionnaires, ceux de Charlotte Corday ou de Robespierre.
Il est beaucoup question de photographies anciennes dans lequel le passé
a été figé. C’est grâce à une photo de mariage que, dans le Phénix,
le narrateur retrouve la tombe de celle que ses parents ont dénoncée pendant
la guerre, parents qu’il a toujours haïs et qu’il finira par tuer. Des
gens disparaissent des photos, comme la petite Valérie dans Les Voyages
déforment la jeunesse et il est même un personnage qu’il est impossible
de prendre en photo dans La Chaise Vide. À rebours voici une femme
du temps jadis qui, elle, sort d’un vieil album de photos jaunis (Anna).
Autant de nouvelles qui auraient réjoui le regretté Jacques Boireau, grand
photographe à ses heures.
Raymond Iss est bien un auteur de l’Est de la France. La ville de Metz,
où il a longtemps vécu, sert souvent de décor comme dans Anna, même si
le nom même de la ville n’apparaît jamais explicitement. Quant au mot
« flot » qui apparaît page 91, il désigne dans le dialecte lorrain un
noeud, soit de chaussure, soit celui du ruban que des filles mettent dans
leurs cheveux ou dans le dos de leur robe. Raymond Iss prise fort l’humour
noir : voici « une classe où des vieillards doivent désapprendre tout
ce qu’ils savent » (Mémoires de Guerre). Dans un immeuble, il est
un escalier inconnu qui permet d’entrer directement dans les divers appartements.
Dont tous les occupants ont été tués. Leurs cadavres attendent sagement
dans des congélateurs avant d’être mangés (À la carte ou au menu ?
).
Ce que je prise le plus chez Raymond Iss ? La rapidité et l’efficacité
de son écriture. Pas de fioritures. On va toujours à l’essentiel. Cela
va vite, très vite, et le lecteur n’a pas le temps de s’ennuyer. Même
si certains textes, trop elliptiques, peuvent paraître obscurs (Zéro
pour les zozos, Viviane)
LES GARDES RÊVES 17€ éditions RIVIERE BLANCHE
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